Publié le 15 mars 2024

Contrairement à l’idée reçue qu’il faut attaquer la montagne et « poser le genou » pour être efficace, la véritable maîtrise des routes sinueuses réside dans la fluidité et la sérénité. Cet article déconstruit les réflexes de force pour vous enseigner une nouvelle approche : celle d’une danse où le regard commande, le moteur stabilise et le corps dialogue avec la machine. Vous apprendrez à transformer la peur des virages en une conversation maîtrisée, transformant chaque lacet en une source de plaisir et de contrôle.

La scène est familière pour de nombreux motards. Une route de col magnifique, un paysage à couper le souffle, mais à l’intérieur du casque, c’est la tension. Chaque épingle qui se présente est une source d’appréhension. Les bras se crispent, le regard se fige sur le rail de sécurité, la trajectoire devient une succession d’approximations. On se sent chahuté par la route, plus passager que pilote, et le plaisir de la balade s’évapore au profit d’une concentration anxieuse. Cette crispation est une réaction naturelle face à un environnement qui semble hostile.

Face à cela, les conseils habituels fusent : « porte ton regard au loin », « ralentis bien avant », « penche plus ». S’ils sont justes sur le fond, ils sont souvent insuffisants car ils traitent les symptômes sans expliquer la cause profonde du blocage. Ils décrivent le « quoi » sans jamais enseigner le « comment » et surtout le « pourquoi ». Le pilotage est un système global, où la position du corps, la gestion du moteur et la psychologie du pilote sont intimement liées. Isoler un seul de ces éléments est une erreur commune qui mène à la frustration.

Et si la véritable clé n’était pas de chercher à vaincre la route, mais d’apprendre à composer avec elle ? Si la performance ne venait pas de la vitesse ou de l’angle maximal, mais de la fluidité et de l’anticipation ? Cet article propose un changement de paradigme. Nous n’allons pas parler de pilotage de vitesse, mais de pilotage en sérénité. Nous allons aborder la route de montagne non comme un adversaire, mais comme un partenaire de danse. Une danse dont le rythme est dicté par la physique de la moto et dont la chorégraphie est menée par vos yeux.

Au fil de ce guide, nous allons décortiquer chaque phase de cette danse. Nous apprendrons à lire la partition de la route, à utiliser le moteur comme un métronome pour stabiliser notre rythme, et à guider notre machine avec la souplesse d’un danseur plutôt qu’avec la raideur d’un lutteur. L’objectif est simple : transformer la tension en confiance et la survie en plaisir de piloter.

Cet article va vous guider à travers les techniques et les changements d’état d’esprit nécessaires pour maîtriser cette conversation avec votre moto. Explorez avec nous les clés pour transformer chaque virage en une expérience contrôlée et gratifiante.

Comment négocier une épingle à cheveux sans sueurs froides (en montée comme en descente)

L’épingle à cheveux est la figure reine de la montagne, celle qui cristallise toutes les peurs : rayon très court, forte déclivité, manque de visibilité. La réaction instinctive est de freiner tard et fort, de « casser » la moto dans le virage et de prier pour que ça passe. C’est l’inverse de la fluidité. La clé est de décomposer le mouvement en une séquence calme et préparée. Que ce soit en montée ou en descente, le principe reste le même : toute la phase de freinage et de rétrogradage doit être terminée AVANT d’initier l’inclinaison. La moto doit être droite, à la bonne vitesse et sur le bon rapport.

En montée, le moteur aide à tracter la moto hors du virage. En descente, le défi est de gérer l’énergie potentielle qui pousse la moto vers l’extérieur. Ici, le freinage est encore plus crucial. Selon les experts en pilotage, pour un freinage optimal avant le virage, la répartition est d’environ 85% à l’avant et 15% à l’arrière, mais cette action doit se faire moto droite. Une fois dans la courbe, le frein arrière peut être utilisé avec une extrême parcimonie pour resserrer la trajectoire sans déstabiliser l’avant. C’est une caresse sur la pédale, pas une pression.

La négociation de l’épingle est une chorégraphie précise. Il faut d’abord ralentir suffisamment loin en amont, choisir le rapport qui permettra de relancer (souvent la première ou la deuxième vitesse), puis se concentrer sur le point de corde et la sortie. L’erreur est de se focaliser sur le danger (le ravin, le rocher). Votre moto ira là où vous regardez. Forcez-vous à tourner la tête et à viser la fin du virage. C’est ce qu’on appelle la technique du double regard, qui consiste à chercher en permanence le point de fuite pour anticiper la trajectoire idéale.

Plan d’action : maîtriser l’épingle en descente

  1. Phase de freinage : Freinez puissamment avec la moto encore droite. Relâchez progressivement en débutant l’inclinaison pour entrer en freinage dégressif.
  2. Phase neutre et inclinaison : Lâchez complètement les freins et inclinez la moto de façon décisive pour qu’elle tourne rapidement sur son rayon le plus court.
  3. Passage au point de corde : Au premier tiers du virage (point de corde), maintenez une vitesse minimale constante pour conserver la stabilité et la trajectoire.
  4. Préparation de la sortie : Appliquez un très léger filet de gaz. Cette action stabilise le châssis et prépare la moto à l’accélération, alors que les roues s’alignent vers la sortie.
  5. Phase d’accélération : Une fois la moto redressée, accélérez progressivement en relevant la machine et en visant le point de sortie du virage.

En répétant cette méthode, le cerveau cesse de percevoir l’épingle comme une menace et commence à l’enregistrer comme une procédure maîtrisée, libérant ainsi de la charge mentale pour apprécier la route.

Arrêtez de vouloir poser le genou, cherchez plutôt à pencher moins vite

L’imaginaire collectif du motard performant est indissociable de l’image du pilote de Grand Prix, genou au sol dans une courbe rapide. Sur route ouverte, et particulièrement en montagne, cette obsession est un contre-sens. Non seulement elle est dangereuse en raison des imperfections du bitume, mais elle est techniquement inefficace. Le but n’est pas de prendre un angle maximal, mais de passer le virage en sécurité et avec de la marge. Paradoxalement, pour y arriver, il faut parfois chercher à pencher moins, ou du moins, à dissocier l’angle de la moto de celui de son propre corps.

C’est ici qu’intervient la technique du « body steering » ou pilotage avec le corps. En déplaçant son centre de gravité vers l’intérieur du virage (le fameux déhanché, même léger), on aide la moto à tourner. Comme l’explique une analyse sur le sujet, cette technique permet, à vitesse égale, de prendre le même virage avec moins d’angle pour la moto, donc en gardant une plus grande marge de sécurité sur la bande de roulement du pneu. Ou, à angle égal, de passer plus vite. Sur route, c’est la première option qui nous intéresse : la sécurité.

Ce déplacement du corps ne doit pas être une contorsion. Il s’agit d’un mouvement fluide : on pivote le bassin, on sort légèrement une fesse de la selle du côté intérieur du virage, et le haut du corps reste détendu. La règle d’or est de rouler « serré en bas, relâché en haut » : les jambes et le bassin sont actifs pour guider la moto, tandis que les bras et les épaules sont souples pour ne pas transmettre de crispation au guidon.

Motard démontrant la technique du body steering dans un virage avec déhanché contrôlé

Étude de cas : le body steering, l’alternative au genou au sol

Le déhanché permet de faire basculer la moto sur l’angle avec plus de force et de rapidité, en jouant sur les appuis des repose-pieds. En déplaçant le poids du corps à l’intérieur de la courbe, le pilote réduit l’angle d’inclinaison nécessaire pour la moto. Le résultat est double : à vitesse constante, le virage est négocié avec plus de sécurité ; à angle constant, la vitesse de passage peut être augmentée. Pour le motard sur route, l’objectif est le premier : maximiser la marge de sécurité.

Rédigé par Sébastien Richard, Pilote amateur et instructeur de pilotage sur circuit depuis plus de 12 ans, Sébastien se spécialise dans la vulgarisation des techniques de performance pour les rendre applicables sur route.